02/01/2020 - Interviews
SEBASTIEN PRESCHOUX
Sébastien Preschoux, artiste parisien autodidacte, est connu pour ses installations à la main de fils tendus et sa pratique de l'art optique. Insistant sur l’importance du travail manuel, l’artiste fait l'éloge de la valeur et des possibilités du corps humain en tant qu'outil parfait pour créer et apprécier l'art.
Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Sébastien Preschoux : Sébastien Preschoux, 45 ans, artiste/plasticien autodidacte. Style artistique, art optique et cinétique.
Comment ton parcours artistique a-t-il débuté ?
Sébastien Preschoux : Je considère plusieurs points de départ à mon parcours, le premier est celui d’une découverte et de la naissance de ma sensibilité à des productions artistiques qui m’entouraient lors de mon enfance et mon adolescence. Petit, j’étais fasciné par l’arrière des panneaux publicitaires 4x3 ornés de la reproduction d’une peinture de Vasarely, des motifs géométriques sur les murs anti-bruit des autoroutes aux abords de Paris, qui, avec le mouvement de la voiture s’animaient et lors d’une visite au musée de Grenoble la sphère de François Morrelet. Ado, c’est la culture skate qui m’a façonné et notamment les visuels des planches, l’audace de certaines marques quant au graphisme de leur publicité et ma confrontation visuelle à mon premier graff, une vraie révélation sur la possibilité de prendre la liberté de s’exprimer sans avoir à se justifier ou demander l’autorisation. Plus tard, l’amalgame de toutes ces rencontres visuelles a fait naître une envie, en réponse à un besoin, de m’exprimer malgré des codes scolaires et sociétaux très puissants comme « tu ne peux être légitime que si tu as reçu l’enseignement nécessaire à tes ambitions ». Finalement, c’est en faisant, en produisant que j’ai acquis une certaine reconnaissance qui me rend fier aujourd’hui d’être autodidacte et qui s’impose comme un choix de vie. La passion est plus forte que les codes imposés. Donc, l’ultime début de mon parcours reste le jour où j’ai pris la décision d’en faire mon métier, et de me consacrer à 100% à cette ambition, il y a 15 ans.
Quelle est la particularité de ton travail et pourquoi cette obsession des lignes ?
Sébastien Preschoux : Difficile à dire, j’ai toujours cette impression de ré-inventer la roue, mais peut être l’utilisation d’un outil aussi élémentaire que le compas à des fins artistiques et une recherche permanente sur la couleur. La ligne reste l’élément géométrique le plus simple qui soit, sa répétition donne naissance à des effets optiques souvent hypnotiques. Cette démarche de répétition rend aussi hommage à cette attitude qu’ont tous les enfants lorsqu’ils se posent sur un coin de bureau et se mettent à dessiner sans but pendant des heures. Attitude avortée dès que l’on rentre au collège où subitement prévaut la seule valeur intellectuelle aux dépend des valeurs manuelles. J’essaie, de faire perdurer ce plaisir infantile et naïf en y injectant la pugnacité de l’adulte. Seul le travail paye, j’enfonce une porte ouverte, mais lorsqu’on en fait l’expérience on en prend pleinement conscience.
Le mot obsession est tout à fait à propos, car ce geste répété et répétitif fait naître tout autre chose dans le processus créatif, la technique et le geste sont presque acquis donc la place est à la sur- prise et au défi sur chaque pièce produite et dans cette configuration mon plaisir est maximal.
Quelle est la différence entre le travail que tu réalises en atelier et le travail que tu réalises dans l‘espace public ? Tu as un process de travail particulier ?
Sébastien Preschoux : Ce sont deux pratiques à 90% différentes pour ne pas dire opposées. Les dénominateurs communs sont, la répétition, la ligne et la couleur, pour le reste tout diffère.
Pour le travail d’atelier, tout commence avec le choix des panneaux de bois que je vais utiliser, le veinage et le grain sont un avant goût de ce que sera la production finale. Ensuite je pars en ate- lier de menuiserie pour débiter ces panneaux, créer les chassis qui sont tous différents selon les formats, puis vient le « cérémonial » du ponçage où le grain et le veinage pré-conditionne ce que je vais peindre dessus. De retour à l’atelier de peinture, vient le moment de l’envie du jour, petit ou grand format, couleurs vives ou pas, formes angulaires ou ovoïdes... Une fois ces choix effectués, je calibre mes formes en fonction du format puis je commence à peindre. Seuls 40% du résultat final sont connus, à ce moment là, pour me laisser la possibilité de faire évoluer la production en fonction des plaisirs ou contraintes rencontrés pendant la production, et dans 90% des cas une phase intermédiaire fait naître une nouvelle envie qui nourrira la pièce suivante. Et c’est cette auto-alimentation qui produit les pièces et qui constitue mon processus de création. Pour une exposition personnelle je connais les 2 premières et elles dicteront les 13 ou 15 suivantes.
En ce qui concerne les installations, la démarche est totalement différente, tout est laissé à la spontanéité et à l’envie du moment. L’architecture du lieu, sa lumière conditionnent l’installation. Elle est l’incarnation d’un instant dans ma démarche, je ne planifie rien ou presque, je suis comme dans une cour de récréation dans laquelle seules les contraintes de lieu et de temps sont présentes. Je suis plus dans un moment performatif avec en filigrane l’aspect ludique que le spectateur pourra ressentir en découvrant l’installation. Je m’arrange toujours pour que les curieux soient récompensés, car seuls ceux qui s’impliqueront physiquement pourront découvrir des détails cachés que je glisse dans les installations. Enfin, le geste et l’implication du corps sont beaucoup plus engagés que dans les peinture où la gestuelle est plus posée et maîtrisée.
Qu’est-ce qui t'intéresse dans le fait de proposer des installations qui fonctionnent en interaction avec le corps ?
Sébastien Preschoux : Les installations se veulent immersives, de ce fait je souhaite que le spectateur soit acteur de sa découverte. Je suis contre les interdictions de toucher ou de se déplacer avec précaution. C’est à moi de faire de mon installation une invitation à l’expérience sensorielle, qu’elle soit optique ou tactile.
Qu’est-ce qui t’inspire, te passionne ou te révolte et que tu intègres à ton travail ?
Sébastien Preschoux : Mes sources de révolte n’interviennent pas dans mes créations, je les laisse s’exprimer ailleurs. Par ailleurs, je reste à l’affût de formes, de lumière, de couleurs offertes au quotidien. Mais surtout, la recherche du dépassement et de la mise en danger souvent technique. Ce qui me passionne reste cette capacité que l’Homme a pour se dépasser, l’envie d’aller toujours plus loin et de m’apercevoir qu’avec une ligne répétée on peut produire des oeuvres singulières. En d’autres termes le renouveau dans la répétition.
Quai 36 t’a récemment invité à produire deux œuvres pérennes au cœur de Paris La Défense. Qu’est-ce que ça change de travailler dans un tel lieu ? et pour des œuvres pérennes ?
Sébastien Preschoux : C’est une très belle expérience et une magnifique marque de confiance. Le défi pour ce projet a été de transposer une gestuelle très contrôlée (celle de l’atelier) dans une dimension jusqu’ici inconnue, un mur. J’ai choisi de mettre en action ma technique d’atelier à une échelle décuplée, le défi était grand et le résultat maîtrisé mais inconnu. Le plaisir n’en a été que plus grand, et l’expérience presque trop courte. Quant à la pérennité, cela n’a pas influencé ma manière de produire car elle reste très analogue à mon travail d’atelier.
Comment as-tu pensé puis conçu tes œuvres ?
Sébastien Preschoux : Je les ai voulues les plus fidèles possibles à mon processus. Le mur se devait d'être une transposition fidèle de ma technique, de mes choix de couleurs et faire apparaître quelques effets optiques récurrents dans ma production. Quant à l’installation, je l’ai voulue simple et didactique, c’est pourquoi j’ai choisi de reproduire l’effet optique le plus simple des mes installations. Peinture et installation cohabitant dans le même espace elles se devaient d'être simples mais pas simplistes.
Selon toi, quel rôle peut jouer l’art urbain dans notre société ?
Sébastien Preschoux : Fondamental, indispensable, vital... C’est la manière la plus démocratique et généreuse de proposer l’art aux quidams. Beaucoup ne vont pas au musée alors les oeuvres doivent aller à la rencontre du public et accepter que celui-ci réagisse. Sans la présence de graffs sur les voies de chemin de fer quand j’allais skater, je n’aurai jamais eu cette pensée selon laquelle l’expression artistique est rebelle, politique, généreuse et fondamentale. Elle a aujourd’hui, partiellement, perdu sa dimension rebelle mais reste un bastion de liberté et de générosité, donc d’utilité.
Une ville ou un lieu que tu rêverais d’investir ? Ou un public avec lequel tu rêverais de travailler ?
Sébastien Preschoux : Je garde le fantasme de réaliser une installation en pleine montagne et la voir recouverte par la neige pour la faire apparaître dans un paysage vierge de toutes traces humaines, comme posée là par magie !