23/10/2019 - Interviews

ANTOINE BERTRAND

D’abord influencé par la bande-dessinée et le street art, Antoine Bertrand suit la formation en bande-dessinée de l’Institut Saint-Luc à Bruxelles puis acquiert son trait et s’affirme graphiquement dans le dessin animé. Entretien.

EXPOSITION Q___36 - L'ART URBAIN DANS L'ESPACE PUBLIC

#Throwback2018 Retour en images sur notre toute première exposition accueillie par l'Ecole des Beaux-arts de Versailles. Nous avons été comblés de réunir pas moins de 1500 personnes pour le vernissage! La soirée fut animée par un live painting de Antoine Bertrand et a été l'occasion de dévoiler les deux murs réalisés par JAW et Gilbert Mazout dans la cour de l'école ainsi que leur mur participatif peint avec un groupe d'élèves.D'autres expositions sont d'ailleurs prévues cette année :) #staytuned

Publiée par Quai 36 sur Vendredi 18 janvier 2019

Peux-tu nous décrire la performance que tu as réalisée lors du vernissage de l'exposition Quai 36

Antoine Bertrand : J'ai choisi de peindre en live une chaîne de montagnes au sabre afin de présenter cette technique au public de Versailles. Le sabre est un outil que j'ai créé à l’origine pour pouvoir travailler la peinture en extérieur, en grand format.

Quant aux montagnes, cela vient de mes nombreux voyages en Corée du Sud. Je suis tombé amoureux des paysages montagneux de ce pays qui entourent Séoul comme une divinité protectrice. C'est pour cela que j'ai souhaité peindre les murs de cette salle de l'école des Beaux-Arts, cela me rappelait cette ville.

Ton travail est empreint d’influences coréo-japonaises héritées de tes nombreux voyages. Quelle importance accordes-tu au fait de présenter ce travail dans une ville comme Versailles et au sein de son école des Beaux-Arts ?

Antoine Bertrand : Mon travail consiste surtout à découvrir le plus de moyens d'expressions artistiques possibles. Tout a commencé au Japon, et grâce à la galerie Vanessa RAU qui m'a permis de faire ma première exposition solo en 2011 et m'a présenté des artistes japonais fascinants. Chaque voyage (de 2010 à 2015) était marqué par la chance de pouvoir apprendre de ces artistes, chez eux, dans leurs ateliers. De la peinture Sumi-e, aux différentes techniques Nihonga. Ce fut toujours un grand honneur, qui s'est enchaîné par l'exceptionnel apprentissage en Terra Cotta avec Maître Han Ai-Kyu à Séoul de 2017 à 2018. C’était une expérience de vie et d'immersion incroyable et surtout un changement de technique radical : plus de peinture, que de la sculpture.

Versailles est une ville d'art et donc d'artisanat. Il m’a semblé à propos d'y proposer une vision du Street-Art empreinte d'histoire et de tradition.

Les matériaux et les outils ont une histoire dans ma peinture, en plus de celle du sujet. Et je pense que Versailles était un bon endroit pour le présenter.

Toute technique artisanale est une clef d'expression artistique. Je pense qu'il est indispensable d'avoir de la diversité dans ces moyens d'expressions, cela fait prendre de la distance et de l'humilité. Et quoi de mieux que l'école des Beaux-Arts pour en parler ?

Tu as développé ta propre technique pour réaliser ces énigmatiques chaînes de montagnes, que peux-tu nous dire sur cette technique ?

Antoine Bertrand : Cela vient principalement du Sabre, Dérivé d'un couteau à peindre allant de 60cm à 1m de long. Je les ai fabriqué entièrement avec mon père. J’ai utilisé pour la première fois mon propre sabre en 2015 pour réaliser un mur puis ma toute première toile. C'est un rendu assez "agressif" et explosif. Mais après mon premier voyage en Corée, J’ai collaboré avec l’artiste Mogoora sur une fresque pour sa première exposition solo.

Lui n'utilisant que de l'encre, nous avons dû travailler au sol ce que je n'avais jamais encore tenté. Le fait d’avoir été contraint à peindre avec mon sabre au sol impliquait de travailler à plat et non plus contre un mur, à la verticale. C’est ainsi que sont nées mes représentations de montagnes dont la technique de réalisation est directement issue de cette « contrainte ». La performance fut une réussite et j’ai ensuite développé cette thématique.

Ces montagnes c'est ma vision de la Corée, elles me ramènent à elle.

Toi qui te passionnes pour l’artisanat et ses nombreuses techniques « traditionnelles », mais aussi à leurs évolutions dans le monde de l’art… Y a t-il une technique que tu comptes dompter pour de prochains projets ou que tu souhaites travailler ?

Antoine Bertrand : Lors de mon dernier voyage en Corée du Sud, j’ai découvert une technique qui devrait enfin pouvoir satisfaire mon souhait de ne travailler qu’avec des matériaux naturels. Après tous mes apprentissages en papiers asiatiques, les longues heures sous la supervision de Jocelyne Derudder pour l'Ura-Uchi, les cours de pigments Enogu avec Masato Fujiyoka, la soie avec Ryoko Kimura.

Il ne me restait plus qu'à trouver comment créer une peinture à la viscosité de l'acrylique et au noir profond comme de l'encre. Afin de pouvoir peindre à l'encre au sabre !

Tu as pour projet la réalisation d’un docu/fiction sur les artistes de Corée. Peux-tu nous en dire plus ? 

Antoine Bertrand : C'est un peu le Off de mes voyages. Lors de mes moments hors de l'atelier de céramique, j'ai eu l'opportunité de rencontrer l'artiste peintre/calligraphe Coréen Mogoora. Ce fut un coup de foudre, un coup de tonnerre que de trouver son double-artiste à l'autre bout du monde ! Nous avons beaucoup partagé et sommes devenus frères de peinture. Il m'a présenté son crew à Séoul, Urbanstrikers. Je n'ai jamais rencontré autant d'artistes aussi talentueux que sympathiques.

Lors de mon avant-dernier voyage j’ai rejoint leur rang en tant que premier artiste étranger. Aujourd’hui, ce crew occupe la moitié de mon temps et de mes projets !

La série-documentaire sur laquelle je travaille est un projet qui me tient à coeur, sous forme d'épisodes "portraits", je veux montrer le vrai visage de cette jeunesse Sud-Corréenne, cet underground vital. Portés par la volonté inébranlable de la boîte de production l'Archiverie, mes collaborateurs Baptiste et Elariph ont vécu avec ces artistes afin de travailler sur le premier épisode pilote.

Trop assommé de K-pop et d'une vision artisitque acidulée et stéréotypée, la Corée porte un masque. Bien sûr, il existe des artistes Coréens connus qui dérogent à cette pop-culture, mais qui sont les prochains ?

Ce sont eux derrière qui sont les vrais artistes, ceux qui cherchent constamment à se remettre en question, ceux qui n'abonneront pas. Parce qu'ils en ont vraiment besoin. Leur génération porte un espoir très important dans l'histoire de ce pays.

Ces films sont directement adressés à ces artistes coréens, j’ai espoir que tout le monde puisse s'inspirer de leur sincérité. Que cela soit fédérateur chez les artistes, qu'ils sortent de leur zone de confort, qu'ils partagent avec l'autre bout du monde et non plus un simple mur.

Ton parcours artistique est depuis toujours ponctué de voyages, quel est la prochaine exploration prévue ?

Antoine Bertrand : Je retourne à Séoul, plus exactement à Tongyeong près de l’île de Geoje au Sud, au printemps prochain. Le propriétaire de l’usine d’huîtres sur laquelle j’ai peint des baleines en 2017-18, m’invite a continuer cette fresque monumentale tous les 2ans, l’occasion pour moi de créer une œuvre à ciel  ouvert sur plusieurs années.

Au sein du collectif Urbanstriker, un membre, Hanbin 'Sark' Choi, à fondé One Strike. Une branche plus spécialement orientée pour les artistes peintres/calligraphes/tatoueurs/graffeurs dont il organise chaque rencontre. J'ai participé à l'exposition de 2017, à Séoul, à la Mise Gallery d'insa-dong. Avec Mogoora, Kim Hyun-Jun et Creepy Mouse, de Taïwan.

Et même si cela n’est pas encore totalement organisé, notre envie serait d’aller travailler et exposer avec des artistes de Taïwan d’ici 2020.

Pour l’instant je pars surtout en Italie étudier une ancienne technique de peinture, mais cela reste encore en développement...